Le deuil de la famille idéale

Dans le cadre de mon travail auprès de personnes en situation de handicap, une notion est fréquemment évoquée chez les professionnels de ce milieu : le deuil de l'enfant idéal/normal. Rassurez-vous, cette notion est moins violente qu'elle en a l'air.

Le deuil de l'enfant idéal est un processus par lequel passe chaque parent apprenant que son enfant est ou sera en situation de handicap. Il s'agit alors de remettre en question toutes les projections conscientes ou non que l'on avait pour son enfant : parcours scolaire, professionnel, autonomie, vie sociale, amoureuse etc...

"Il joue avec des avions, plus tard il sera un pilote !"

Pourquoi ces projections ?

Elisabeth Zamansky, psychologue clinicienne explique que "le parent identifie son enfant à l’enfant qu’il a été et s’identifie lui-même au parent idéal dont il a manqué"(1). Sylvie Desjardins le présente même comme "une extension de soi un ou prolongement de soi " (2). Autrement dit, on s'imagine le meilleur pour son enfant. Il s'agit d'un processus de pensée normal dans la parentalité. Cependant la Elisabeth Zamansky ajoute : "Ces processus peuvent poser problème, car l’image de lui ou de ses propres parents peut être abîmée, insatisfaisante, idéalisée, et, dans ces cas, éloignée de l’enfant réel et de ses besoins." C'est d'autant plus le cas lorsque l'enfant en question présente une situation de handicap. Au-delà de notre perception d'une enfance classique, le parent réalise que sa parentalité, elle aussi, est chamboulée. Marie-France Epagneul, Présidente de l’URAPEI Île-de-France (Union régionale des associations de personnes handicapées mentales, de leurs parents et de leurs amis) parle alors de deuil du "parent rêvé" (3).

Quel est le rapport avec ma famille recomposée ?

La projection de ce qu'on imagine lorsque l'on parle d'une famille est aussi idéalisé. Il existe une famille type, celle qu'on pourrait qualifier de parfaite ou d'idéale vers laquelle consciemment ou non on tente parfois de tendre.

La maison, marié, 2 enfants, un chien et une piscine...

Cette famille que l'on projette, on l'appel famille nucléaire. Le mot nucléaire renvoie au terme latin "nucleus", soit noyaux (4). La famille s'imaginait auparavant comme un noyau avec au centre la mère et le père. Aujourd'hui nous savons que ce modèle de famille n'est pas unique. Il existe un large panel d'options différentes, ce qui questionne aujourd'hui la notion de famille. Dans le dictionnaire le Robert, le mot "Famille" présente à lui seul sept définitions possibles ! (5)

Pour la suite de cet article, je vous propose d'illustrer mes propos avec notre famille Laurent présentée sur la page d'accueil.

Famille Laurent

Malgré cela, le modèle nucléaire, dit "classique" reste le plus commun et le plus souhaité dans la population. Alors lorsque Sarah et Marc se séparent, ils doivent traverser un deuil amoureux et accepter la fin de la relation, mais aussi se confronter à l'impossibilité de vivre cette famille rêvée. N'oublions pas que ce deuil est aussi traversé par Samy. A ce moment même la famille devient monoparentale, Sarah se retrouve seule avec Samy. Non pas du fait qu'il n'y est plus qu'un seul parent, car Marc est toujours présent dans la vie de famille. Cependant Samy n'est confronté qu'à un parent à la fois.

Ne pouvons-nous pas alors parler d'un deuil de la famille idéale ?

Est-ce nécessaire avant une recomposition ?

J'ai tendance à penser que le deuil de la famille idéale est une phase nécessaire à traverser, que ce soit pour Sarah autant que Samy. Tous deux doivent vivre cette étape de leur vie. Samy lui, va devoir accepter que ses parents ne seront plus ensemble, voire même accepter que sa mère tombe amoureuse d'une autre personne. Sarah quant à elle, doit appréhender l'idée que son fils ne grandira pas dans un modèle de famille classique.

Face à ce deuil parfois difficile, Samy aura besoin d'être accompagné pour surmonter cela et avancer. On pourrait résumer cela par le terme de résilience défini par Boris Cyrulnik comme : "La définition de la résilience fait référence à la reprise d’un nouveau développement après un fracas traumatique" (6).

Si Samy n'a pas eu l'espace et le temps de traverser cette phase, il sera contrarié à l'arrivée de Pascal dans sa vie et fera vivre la misère à Luc. Il peut avoir un sentiment d'abandon, se sentant comme un fragment d'une ancienne vie oubliée ou rejetée par sa mère. Un conflit de loyauté  peut aussi naître en lui (je vous renvoie à un précédent article, sur le conflit de loyauté). S'il apprécie Pascal, est-ce que son père lui en voudra de l'abandonner ?

La rupture peut être certes traumatique, mais pas une fatalité. Le neuropsychiatre estime qu'une résilience peut exister grâce à plusieurs facteurs :

• Le soutient : C'est se sentir à nouveau en sécurité émotionnellement et affectivement. Etre reconnu dans sa douleur et savoir qu'elle est légitime.

• Le sens : Pour passer à autre chose, il faut pouvoir comprendre ce qui est arrivé. Il est alors nécessaire d'expliquer la rupture avec des mots qu'il pourra comprendre.

Quel impact pour ma famille ?

Je trouve pertinent d'emprunter un terme du champ du handicap. Il présente un sentiment similaire vécu par chaque membre de famille recomposée. Chacun doit traverser le deuil d'un idéal mais aussi la résilience que cela demande pour surmonter cette étape difficile.

Bien que ce sujet ne soit pas des plus joyeux, n'oubliez pas que cette étape vous rassemble et vous unis. Vous avez alors la force d'un vécu commun ce qui renforce les relations. La famille recomposée est une richesse par son vécu, son histoire et sa force.

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Sources :

1. Zamansky, É. (2007). L'identification projective parentale. Gestalt, 32(1), 129-141.

2. https://psychologue-psychomotricien-lyon.fr/le-deuil-de-lenfant-normal

3. Épagneul, M.-F. (2007). Du bon usage du concept de « deuil de l'enfant idéal » Réflexions sur la pertinence des aides apportées aux parents d'enfant en situation de handicap. Reliance, 26(4), 43-50.

4. https://www.merriam-webster.com/wordplay/nuclear-family-history-origin

5. https://dictionnaire.lerobert.com/definition/famille

6. Cyrulnik, B. (2018). Traumatisme et résilience. Rhizome, 69-70(3), 28-29.